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FRANCE MUSIQUE – À LA DEMANDE – PODCAST
Benoît Duteurtre avait un goût nostalgique prononcé pour une époque qu’il n’avait pas connue mais à laquelle il se sentait relié par le biais d’un héritage familial qui comptait en ses rangs René Coty (1882-1962), son arrière-grand-père, dernier président de la IVe République. Il aimait cette France des films en noir et blanc, où la langue était prononcée différemment, où la civilité et les usages mêlaient la lesteté à la finesse ; il en aimait la capitale et son légendaire « esprit parisien ».
Mais Benoît Duteurtre chérissait aussi la « province », dont il était originaire, notamment les Vosges où il se rendait aux quatre saisons, dans une maison familiale sise dans ce qu’il appelait son « petit paradis », où une crise cardiaque l’a terrassé mardi 16 juillet, à l’âge de 64 ans. Son goût se portait sur les anciens noms de départements, les buffets de gare, les nappes à carreaux, l’accordéon, les personnes âgées et à peu près toutes les traces d’un passé en voie d’effacement.
Parmi celles-ci, il goûtait par-dessus tout l’opérette, « fille de l’opéra-comique (…) qui a mal tourné mais qui n’en est pas moins charmante », comme disait l’auguste compositeur Camille Saint-Saëns (1835-1921). Un genre qui a fait les soirées à grand spectacle et à guichets fermés du Châtelet ou de Mogador, à Paris, et, longtemps, les matinées des théâtres de province où se rendait un public d’âge mûr.
Benoît Duteurtre a d’abord ravivé l’intérêt de générations plus jeunes pour le genre lyrique léger (opéra-bouffe, opérette, comédie musicale à la française, etc.) en publiant un « beau livre », L’Opérette en France (Editions du Seuil, 1997), réédité dans une version largement revue, chez Fayard, en 2009.
A la radio, dans son émission « Etonnez-moi Benoît » (qui allait fêter ses vingt-cinq années à l’antenne de France Musique), le producteur, qui était aussi musicien de formation, invitait volontiers des témoins et des interprètes historiques de ce répertoire, qui fut beaucoup donné à la radiodiffusion nationale (et qui comptait, jusqu’en 1975, un service et un orchestre consacrés à la musique légère). Ces enregistrements radiophoniques, conservés par l’Institut national de l’audiovisuel (INA) et publiés parfois par des collections discographiques, alimentent grandement le contenu de La Grande Histoire de l’opérette, série de sept épisodes de quatre-vingt-huit minutes enregistrée par Benoît Duteurtre au mois de mai.
Cette série élargit le sujet au-delà de la France, même si, rappelle volontiers Duteurtre, l’opérette viennoise s’est inspirée d’abord du modèle français, de ses sujets et livrets : La Chauve-Souris (1874), de Johann Strauss, et La Veuve joyeuse (1905), de Franz Lehar, deux fleurons du répertoire viennois, sont adaptées d’Henri Meilhac (1830-1897), seul ou avec Ludovic Halévy (1834-1908), avec qui il formait le fameux duo de librettistes de Jacques Offenbach (1819-1880).
Au fil des sept épisodes, qui s’appuient sur les âges d’or de l’opérette des deux côtés du Danube, Benoît Duteurtre relève et illustre d’autres échanges culturels, notamment avec l’Angleterre où se donneront – parfois en création – de nombreux ouvrages légers français. Sans oublier l’influence nord-américaine qui exporte, au cours des années 1920, ses fox-trot et autres rythmes syncopés à la mode.
L’épisode 6 s’arrête sur d’autres types d’opérettes étrangères : celles, fameuses dans tout le monde anglo-saxon, des Anglais William S. Gilbert (1836-1911) et Arthur Sullivan (1842-1900) ; les ouvrages légers de l’Allemand Kurt Weill (1900-1950) avant son exil aux Etats-Unis ; ou encore la zarzuela espagnole, l’opérette tchèque et… soviétique – dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle est peu connue. Le septième volet retrace les derniers feux d’un genre qui s’éteindra au cours des années 1950-1960, après les succès de Francis Lopez (1916-1995) et de sa vedette Luis Mariano (1914-1970). Mais d’autres, comme Gérard Calvi (1922-2015) et Charles Aznavour (1924-2018) – Monsieur Carnaval (1965), sur des paroles de Frédéric Dard (1921-2000) – tenteront encore de sauver l’opérette française de son déclin.
Benoît Duteurtre parcourt d’un pas vif et d’une voix légère ces sept épisodes, richement illustrés d’extraits musicaux et d’entretiens prélevés dans ses propres émissions ou les archives de l’INA. « Nous avons enregistré ces émissions dans une ambiance très légère, très bon enfant », nous a confié Sophie Pichon, la réalisatrice de cette série, qui a travaillé pendant une quinzaine d’années avec Duteurtre. « Nous avons beaucoup souri, beaucoup ri. Benoît était en pleine forme », ajoute la réalisatrice. Cette joie si communicative qu’a Benoît Duteurtre, au micro, à faire partager sa passion serre d’autant plus le cœur qu’on sait que ce sont ses dernières interventions diffusées par France Musique.
La Grande Histoire de l’opérette, série en sept épisodes de Benoît Duteurtre, réalisée par Sophie Pichon (Fr., 2024, 7 × 88 min). Diffusée du 19 au 25 août, sur France Musique, à 9 heures, et disponible à la demande sur le site de Radio France.
Renaud Machart
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